Sa déportation

C’est en Gironde où vit Guillaume Carles et sa famille que débute notre voyage. Retraité de la SNCF, il habite une petite maison située en dehors du bourg, en face de l’entrée du terrain de rugby de Langon, petite commune située à 48 km au sud-est de Bordeaux. Langon                       Le port de Langon sur la garonne

Langon est en zone occupée, juste sur la ligne de démarcation. La situation de la petite ville est particulière car c’est un carrefour routier et un nœud ferroviaire avec une présence importante de cheminots dont il a fait partie, c’est donc une des villes les plus importantes sur toute la ligne de démarcation.
Cette commune dépend de l’administration Bordelaise où Adrien Marquet, maire de Bordeaux sera considéré comme le maire de France le plus collaborationniste. Des archives allemandes l’impliquant personnellement, témoignent de son désir de collaboration, son souhait de victoire de l’Allemagne et d’une France national-socialiste.

Langon       La ligne de démarcation en Gironde de Philippe Souleau

Les communistes développent dans la région bordelaise une intense propagande. Guillaume Carles est un militant de base, responsable local de son parti. La cellule communiste de Langon se constitue alors autour de lui ainsi que de François Deusy et André Jameau. Ils deviennent rapidement opérationnels, distribuant de nombreux tracts. Ces informations ont été communiquées de son vivant par Henri Chassaing, dirigeant du PCF de Gironde et qui témoigna au procès de Maurice Papon.

Infiltrés, ils sont arrêtés le 1er février 1943 par la SAP. Cette opération fait suite aux arrestations à Bordeaux d’une trentaine de militants et de la découverte d’armes et d’une valise pleine de tracts. Guillaume Carles, François Deusy et André Jameau sont conduits à la caserne Boudet.

Carserne Boudet
Carserne Boudet

Du mois de septembre 1940 à la fin du mois d’août 1944, la prison militaire de Bordeaux occupait les bâtiments de la caserne Boudet, rue de Pessac, et devient l’annexe de la prison allemande du Fort du Hâ.

Deux mois et demi après leur arrivée, les trois camarades sont transférés le même jour au Ford du Hâ. Ils sont enfermés dans des cachots différents afin de d’éviter toute communication entre eux.

Ford du Hâ                                                 Fort du Hâ

Construit après la bataille de Castillon (17 juillet 1453) qui marque la fin de la guerre de Cent ans, le Fort du Hâ est une prison depuis septembre 1790. Elle est désaffectée en 1967 démolie en 1969. Le palais de justice attenant est transformé en école de la magistrature en 1971.
Entre 1940 et 1945, la prison du Hâ est toujours utilisée pour les prisonniers de droit commun mais elle sert désormais pour les Allemands de centre de détention où vont se succéder de nombreux résistants et toutes les personnes arrêtées pour délits politiques. Elle est rebaptisée pour la circonstance « quartier allemand ». Les nazis utilisent ce fort comme prison politique pour y enfermer les opposants et les résistants.

Jean-Jacques Behague, qui y fut emprisonné lui-même à la même période et qui, comme Guillaume Carles, est parti à Compiègne puis à Buchenwald par le même convoi décrivit les conditions de détention : « Quant à moi, je fus transféré au Fort du Hâ à Bordeaux, quartier Allemand, où je connus la faim, les poux et la promiscuité. En arrivant dans la cellule, les prisonniers avaient ôté leur chemise et écrasaient les poux cachés dans les coutures. « Fais comme nous » me dit le plus ancien qui paraissait diriger les autres. Bien entendu, je n’avais rien, mais le lendemain, la même recherche se solda par 78 poux (…). En octobre nous étions au Fort du Hâ mal logés, mal nourris, d’une soupe claire que les Allemands ne distribuaient pas le dimanche. Ce jour-là, les Quakers prenaient le relais en faisant parvenir 9 petits beurre par prisonnier, pour la journée.»

Guillaume Carles a surement subi le même sort mais le témoigne d’André Jameau qui répond aux questions du journal « La Gironde Populaire » après sa libération nous en dit un peu plus sur les conditions d’internements au fort du Hâ :
•  LGP : « Des représailles s’ensuivirent naturellement ? »
•  A J : « Oui : après ce fut le cachot du fort du Hâ, le secret, la cellule 11 où l’on respirait par le trou de la serrure. Nos pieds et nos mains étaient enchainés.., De temps en temps poursuit notre camarade, avec un amer sourire, « nos gardiens nous conduisaient rue Victoire-Américaine (maison réquisitionnée par le commissaire Poinsot et de son équipe-NDLR), histoire de nous payer l’apéritif. »
•  LGP : « Pour vous faire parler ? »
•  AJ : « Oui, personnellement jusqu’au 19 juin date de notre départ pour Compiègne, je subis 11 ou 12 interrogatoires de ce genre. »
•  LGP : « Quelles tortures vous a t’on fait subir ? »
•  AJ : « les nerfs de bœuf, les coups, tout leur était bon. Les bourreaux nous pendaient par les mains et ils se relayaient pour nous fouetter avec plein de vigueur. Ils nous faisaient encore agenouiller sur une règle de fer et nous frappaient la plante des pieds. Un jour, les bandits frappèrent si fort que le m’évanouis de douleur. »
•  LGP : « Ces bourreaux les reconnaitrais-tu ? »
•  AJ : « Je pense ! C’est Poinsot en personne qui menait la danse. Il fallait le voir avec ses manches retroussées jusqu’au coude. « Lorsque je me trouve en face d’un communiste, je vois rouge ! »disait-il d’un air féroce. C’est avec lui que j’ai eu le premier contact. D’un coup de poing, il m’a cassé toutes les dents ! Penot et Célérier le valait en cruauté. Les salauds ! Ils voulaient nous faire parler mais ils n’y sont pas arrivés. Qu’allais-tu faire à Paris ? questionnaient-ils et invariablement je répondais : les examens de mon fils exigeaient ces déplacements. De guerre lasse les bandits me renvoyèrent définitivement à mon cachot et à mes chaines du fort de Hâ. Puis je fus dirigé vers Compiègne. »
•  LGP : « Carles et Deusy étaient-ils avec toi ? »
•  AJ : « J’étais séparé de mes deux camarades depuis mon incarcération à Boudet et je n’avais aucune nouvelle d’eux. »

Guillaume Carles ainsi que ses camarades sont ensuite transférés au camp de Royallieu à Compiègne. Compiègne a été un camp de transit, c’est-à-dire une étape entre la prison d’où l’on vient et le camp où l’on va. C’est un espace de 15 hectares, 24 baraques de 60 mètres de long et 15 mètres de large s’alignent selon un plan en « U » ouvert sur l’entrée.

 Départ d’un convoi vers la gare de Compiègne – Albert Bourdon – Mémorial de Royallieu

Nous savons qu’André Jameau ne séjourna que quelques jours à Compiègne avant son transfert pour Buchenwald par le premier train qui fut organisé. François Deusy est quand à lui déporté le 14 décembre 1943 dans le même camp. Pour Guillaume Carles, nous savons qu’il est parti le 17 janvier 1944.

 

Le convoi pour Buchenwald, le 17 janvier 1944 :

« A pied la colonne de prisonniers gagna la gare de Compiègne où un transport par wagons à bestiaux, ouvertures cadenassées, à 120 par voiture nous attendait. Durant 3 jours et presque 3 nuits, entassés, pire que des bêtes, manquant d’air pour respirer, nous étions loin de nos espérances. En gagnant la gare, le cortège a bien essayé d’entonner une vibrante Marseillaise, mais les gardes nous ont fait taire à coups de crosse. C’était le début de l’enfer.
Certaines gens, sans trop se montrer, ont assisté à notre passage ; témoins muets mais réconfortants pour nous car ils ont vu ; ils ont pu raconter « l’histoire »… Une fois bouclés dans le train nous avons attendu. Enfin l’ensemble s’est ébranlé mais le convoi était à peine démarré que les scies sortirent des espadrilles. Impossible de contenir ou d’arrêter cette envie de liberté, si bien que dans le groupe des prisonniers certains s’activaient follement tandis que d’autres, muets, redoutaient cette imprudence. Cela n’a pas duré car le train s’est arrêté et au cours d’un contrôle les SS firent descendre tout le monde et déshabiller les porteurs de lames. Cela aurait pu être pire mais les Allemands avaient l’habitude de cette réaction ; Dans le wagon, la chaleur montait et certains d’entre nous ne se contrôlaient plus : cris, hurlements … pour rien ; à un hublot légèrement entr’ouvert l’un de nous passa une main … qui reçut une balle ; de quoi souffrir dans cette situation. Tout cela n’empêchait pas d’aller à la tinette, qui fut bientôt pleine et bousculée. A l’occasion d’un arrêt brutal, l’intérieur se répandit et dans la bagarre, j’en fus souillé … comme d’autres. L’air se raréfiait ; De la sueur liquide coulait le long de la paroi… » Jean-Jacques Behague.

Le Transport parti de Compiègne le 17 janvier 1944 arrive à Buchenwald le 19 janvier 1944. Il comprend 1 944 hommes dont les matricules extrêmes sont : 39 441- 41 374. Les évadés durant le transport sont au nombre de 9.  2 sont décédés durant le transport et 3 ont été libérés par les autorités allemandes. Parmi ces déportés, 725 sont morts ou ont disparu, 935 sont rentrés de déportation et pour les 269 autres, leur situation n’est pas connuePasted_Graphic_6                Le wagon de Boris Taslitzky peintre français déporté à Buchenwald

Le train est parti de la gare de Compiègne le 17 en fin de matinée et a franchi la frontière allemande le 18 à la fin de la nuit. L’arrivée à Buchenwald se fait en début d’après-midi, le 19 janvier.

« Nous parcourons le chemin qui sépare la gare de l’entrée du camp à pied puis nous entrons dans le camp de Buchenwald. Nous savions que nous allions travailler en Allemagne en partant de Compiègne. C’est tout. Celui qui dit qu’il savait quelque chose, il ment. À cet instant, je n’ai aucune idée de l’endroit où je me trouve .» Virgilio Pena, espagnol originaire de la province de Cordoue.

 

Certificat de déportation de Guillaume Carles
Certificat de déportation de Guillaume Carles

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